Les rives de Léthé

Une rivière comme une chemise

Je revois mon corps. Je le vois faire quelques pas avec des amis de hasard. La lampe brûla un moment dans la beauté de l’être. C’est une paupière sous un rai de lumière, qui s’ouvre et se défripe au cœur du monde. Le soleil est doré. La rivière est dorée. Nous bûmes des bières sur le bord de l’été, loin dans l’autre siècle.

C’est une rivière comme une chemise ouverte sur le temps. Dans ses plis, dans ses poches, dans ses ginguettes rêvées, dans ces bras riants de sueur que nous ne connûmes pas, dans ce murmure de mousse qui sanglote comme une jeune fille égarée sans fin, elle s’éloigne.

Amour

Source jaillit des lignes de ta main
doigts gantés de nacre
pensée pure arachnide
l’aube rêvée résonne

Plein d’essence à l’aube brûlée
pare-brise bleu pétrole
lunette noire
clé au code perdu

Relève toi à l’aube grise
ne dis rien
buisson bleu écaille d’or
laisse venir l’oubli

J’ai jeté de grosses gouttes sur les roses
le vent se lève
me berce dans ta nuit ton aube
mon amour

Jean

Jean était handicapé mental. Un musée, une grotte fraîche, une source. Le soleil étoilait les autos blanches et bleues. Sur le parking Jean regardait les cailloux

Et parlait d’auto verte. Ce n’était pas le musée de l’auto ni le musée de l’aviation. C’était juste le musée de l’homme préhistorique

Jean, je l’aimais bien. La monitrice aussi je l’aimais bien. Il était une fois une petite route avec un grand trou très beau. Tout au fond un ruisseau

Tout en haut les moniteurs regardaient les cailloux eux aussi. A la Chapelle en Vercors des débris de planeurs allemands

C’est la fin du jour au café de la place. L’heure des rafraîchissements. Jean tire très fort sur la barbe d’un monsieur en criant « Yvan Rebrof ! »

Une monitrice pas très belle avait un très beau visage quand elle fumait le joint. Ou bien c’était mes yeux qui soudain voyaient bien

Pyjama rouge

Au moulin
des matins perdus
enracinés
sous la paupière close

La fille épileptique
soudain tombait
choc 

silencieux casque ajusté

Petite rivière
grand poisson bleu
dans l’eau 

fraiche cela a été

Griot de village
en pyjama rouge
caboulot
au fond du pays

Nous devisâmes
charmants libertaires
fumant 

de tout petits joints
 
Passagers de la nuit
pour l’élégance
instants
d’une brève éternité

Le temps s’échappait 
du fumet d’un café
à l’aube
d’un verger rêveur
 
Les étoiles levèrent le camp
sous la voûte pâle
en trimard
jusqu’à la prochaine vie